Le Lundi des Créateurs : Vanessa Colignon (Design for Resilience)
Vanessa Colignon est styliste et designer textile spécialisée dans la maille. Elle a fondé Design for Resilience qui se concentre sur la création textile d’objets du quotidien et de vêtements naturels et respectueux de l’environnement en circuit-court.
Bonjour Vanessa ! Pouvez-vous vous présenter, en premier lieu, sans aborder votre métier ?
Je suis Vanessa, je suis passionnée par le vivant, surtout par les animaux et le règne végétal. Je suis plutôt quelqu’un qui aime contempler la beauté du monde. J’aime bien jardiner aussi !
Pouvez-vous me parler de votre parcours avant « Design for Resilience » ?
À la base, j’ai une formation en stylisme, et même avant ça, en sciences économiques. Je suis quelqu’un de très exigent, j’ai toujours aimé l’habillement mais surtout la partie relative aux matières et au caractère confortable d’un habit. Ce qui est très important pour moi, c’est d’avoir des produits qualitatifs. Que ça soit dans la mode ou dans autre chose. C’est impératif pour moi d’acheter quelque chose qui va durer longtemps. J’ai cette même exigence pour le vêtement et petit à petit, je me suis formée dans la création de vêtement en apprenant comment on file, on tisse ou on tricote…
En parallèle, pendant mes études, je me suis rendue compte de tous les impacts environnementaux que l’homme pouvait avoir sur la Terre, notamment au niveau de la filière textile. C’est comme ça que mes envies ont commencé à se préciser et que j’ai voulu me former pour comprendre l’environnement, la production des matières, les moyens de relocaliser en Belgique… Il y a vraiment une urgence à ce niveau-là. Certains savoir-faire vont disparaître d’ici très peu de temps si on ne se les réapproprie pas et qu’on ne relocalise pas en payant correctement ces emplois.
Il y a 3,4 ans, je me suis spécialisée dans la maille et ça faisait plusieurs années que je m’intéressais au lin, au chanvre et à la laine et aux moyens de relocaliser ces matières. Dans le cadre de ma formation, j’ai recommencé mes recherches sur ces matières-là à travers la technique de la maille. Je faisais de la recherche pour faire du vêtement et au fur et à mesure, je réalisais que mes résultats pouvaient servir pour faire des éponges de vaisselle, ou encore d’autres objets que je n’avais pas encore réussi à transformer de manière écologique.
"Maintenir les savoir-faire, c’est aussi garder une autonomie face à toutes les grandes industries qui ont le monopole et qui nous rendent dépendants de leur système."
C’est donc ça l’inspiration première derrière la création de Design for Resilience ? Vous vouliez participer à une transition écologique dans les objets du quotidien ?
Il y a plusieurs enjeux. J’aime mon métier, j’aime les métiers créatifs et je trouve que dans une société, c’est important de faire un métier qu’on aime et qui nous inspire. Du coup, pour moi, un métier créatif, ça peut donner confiance aux gens, et leur faire prendre conscience qu’ils savent faire quelque chose de leurs mains. Pour moi, ce sont vraiment des métiers hyper importants en terme d’environnement et d’économie.
Maintenir les savoir-faire, c’est aussi garder une autonomie face à toutes les grandes industries qui ont le monopole et qui nous rendent dépendants de leur système. Il n’y a pas qu’un seul point qui est visé par ce que je fais, mais toute une globalité d’objectifs et le but final, c’est qu’on puisse avoir un avenir viable pour les prochaines générations.
Avez-vous des actualités à partager ? Des nouveautés qui arrivent ?
Alors, on vient de sortir six nouveaux produits. On vient d’élargir la gamme des produits pour le corps avec les carrés démaquillants, les gants exfoliants pour gommages légers, et on a aussi l’essuie pour cheveux. Sa particularité est qu’il sèche très vite car il est fabriqué en lin. On a également sorti des petites pochettes qui peuvent servir de sacs à vrac ou de pochettes cadeaux. On est vraiment dans l’optique d’avoir des produits qui sont multi-usages.
Vanessa dans son atelier. Crédit photo : Média France.
Si vous pouviez réaliser un rêve avec votre marque, ça serait quoi ?
Oh, j’en ai plusieurs ! Il y a un projet de relocalisation : au moins 3 des matières premières que j’utilise actuellement pourraient être filées en Belgique, en France… En tout cas, en Europe de l’Ouest. Là, pour l’instant on a de la laine qu’on a fait transformer nous-même pour de nouveaux produits qu’on va développer. On va avoir le lin, mais c’est un gros budget donc on a besoin de trouver beaucoup plus de clients pour financer l’achat de ce genre de fil. Et un jour, on aimerait avoir le chanvre, mais ça va prendre encore du temps. En tout cas, c’est un gros objectif, de pouvoir avoir des matières sourcées le plus localement possible.
Après, un autre idéal serait d’être plus connu pour avoir plus de ventes et déléguer certaines choses, avoir une équipe plus grande et que je puisse me consacrer à 100% à la création. J’ai beaucoup d’idées, mais puisqu’on est en phase de lancement, je fais plutôt de la vente et de la communication que de la création.
Y a-t-il des choses dont vous vous réjouissez en 2022 ?
Il y a tellement de choses angoissantes en ce moment ! (Rires) En fait, je me réjouis de 2 choses : j’ai une amie, Isabella, avec qui j’ai étudié le stylisme et qui s’est par la suite formée à la communication, qui est en train de reprendre une partie de la communication de Design for Resilience. D’ici quelques mois, quand tout sera peaufiné, ça sera un grand soulagement.
Ensuite, j’aspire à avoir plus de temps pour moi, pour me libérer l’esprit et pouvoir créer. Je me réjouis aussi de quelque chose pour laquelle j’ai énormément de gratitude : j’ai énormément de soutien de certaines institutions belges et ça m’ouvre des portes. Ça m’a permis de participer à un salon au mois de mars. Ajouté au fait que nos 6 nouveaux produits ont été financés par un crowdfunding, j’ai une nouvelle clientèle qui s’intéresse à Design for Resilience, et j’espère que cela rendra tout plus facile.
Donc voilà, je me réjouis de toutes les nouvelles opportunités professionnelles qui m’attendent.
Si vous pouviez dire une chose importante aux gens qui vont vous lire, vous leur diriez quoi ?
La première chose à laquelle je pense, c’est ce que dit tout le temps Michel Garcia, un professeur de teinture végétale. Il dit « Méfiez-vous des charlatans ! » Je ne suis pas sûre que ça soit très positif. (Rires)
Ce qui m’interpelle pour l’instant, c’est l’énorme vague de greenwashing qui est surfée par les opportunistes. Il y a énormément de gens qui viennent du milieu du marketing et de la communication qui profite de ça pour usurper et copier ce que font les autres. Donc le conseil que je voudrais donner c’est « informez-vous ».
Il y a une grande sensibilité vis-à-vis de la nourriture qui est née durant les 10 dernières années, on a un peu plus conscience de ce qu’il y a dans nos assiettes, de sa fabrication, de sa provenance… Mais au niveau du textile, on n’est nulle part. Certaines personnes ont une grande sensibilité pour la cause de l’alimentation mais n’ont aucune conscience en ce qui concerne l’industrie textile. Pourtant, l’habit correspond lui aussi à un besoin primaire, ce n’est pas quelque chose de superficiel. Il faut vraiment s’informer.
On a justement organisé une formation à Liège ce mois-ci, sur l’éco-consommation. On aimerait apprendre aux gens à comprendre d’où viennent leurs matières, comment les choisir, etc. J’aimerais vraiment inviter tout le monde à développer un esprit critique face à ce qu’on leur propose dans les magasins, d’aller regarder la composition de leurs produits, de lire les étiquettes… C’est dramatique ce qui est en train de se passer. Il y a des matières qui tuent des gens qui sont vendues dans des magasins bio.
Alors, vraiment, informez-vous pour le bien de tout le monde !
Interview réalisée par Julia Blaimont