Le Lundi des Créateurs : Biche de Ville
Biche de Ville se définit comme un garçon transgenre non-binaire, un artiviste qui tente de faire sens, de faire beau et de faire de son mieux. Il vous parle de son parcours, de ses combats et vous propose une petite balade dans son monde...
Bonjour ! Est-ce que tu peux te présenter sans aborder, en premier lieu, ton métier ?
Avant de parler de moi, je tiens à préciser deux choses : je ne donne jamais mon prénom, donc je vais juste parler de moi en tant que « Biche de Ville », mon nom de scène, et je me genre au masculin.
Parler de moi sans parler de mon métier, ce n’est pas évident ! (Rires) Mon métier, c’est toute ma vie.
Je suis transgenre, je suis non-binaire, j’ai 38 ans et je suis quelqu’un qui est en quête de sens, qui fait de son mieux pour porter des messages forts et qui essaie, à son échelle, de faire bouger les choses, de conscientiser… C’est difficile comme question ! C’est la première fois qu’on me demande de parler de moi sans parler de mon métier.
Je suis aussi une personne passionnée et j’apprends à prendre soin de moi. C’est ce qui me permet de commencer à prendre soin des autres. Aussi, j’adore danser et chanter n’importe comment sur de la musique des années 90 ! Ah oui, je viens de Verviers mais je vis à Bruxelles depuis que j’ai 18 ans.
Quel a été ton parcours avant de sortir ton album « Kevin » en 2021 ?
On a combien d’heures devant nous ? (Rires) Mon art est multiple, et la musique c’était ce que je gardais comme rêve, du coup je me suis dirigé vers le théâtre et le cinéma.
Il y a 5 ans, j’étais dans l’enseignement et j’ai fait un burn-out. Ce burn-out m’a permis de finir le court-métrage sur lequel je bossais seul depuis 7 ans, mais une fois qu’il a été terminé, je me suis rendu compte qu’il ne trouvait pas sa place en Belgique. J’avais déjà 34-35 ans, et j’ai essayé de trouver la chose pour laquelle j’étais prêt à tout sacrifier, la chose qui faisait sens dans ma vie. C’est là que la musique et la poésie sont apparues comme des évidences. J’ai entrepris la recherche de musiciens.nes, de compositeurs.trices pendant plusieurs mois, mais je ne trouvais personne.
C’est à ce moment-là que je me suis fait violemment insulté par une personne de ma famille éloignée, à propos de qui j’étais, sur mon prénom que j’avais changé officiellement, tout ça… Pendant une semaine, j’en avais mal au ventre. Puis quelqu’un m’a dit « en fait, tu ne digères pas les insultes de cette personne » et j’ai eu un déclic. Il était minuit et en une heure, j’avais écrit ma première punk-poésie. J’ai ouvert Garage Band (un logiciel Apple d’enregistrement de musique, NDLR) et je me suis dit « Fuck it, je vais composer moi-même ». J’ai fait tout le reste sur mon téléphone, enregistrer ma voix, la poser sur la musique et faire une vidéo et ensuite mettre le tout sur les réseaux.
Deux semaine plus tard, rebelotte. J’ai fait un clip avec mon partenaire à l’iPhone et je l’ai posté. Mais à ce moment-là, je n’avais aucun code de l’industrie musicale. Je ne savais même pas ce que c’était le mixage, le mastering… Je faisais tout avec mon téléphone et je diffusais ça sur mes réseaux en attendant que ça se passe. Évidemment, ça ne se passait pas. (Rires) Jusqu’à ce que l’Espace 7, à Liège, me contacte pour me proposer une carte blanche. Ils m’offraient la possibilité de diffuser mon court-métrage et de donner mon premier showcase.
Biche de Ville sur scène. Crédit photo : Biche de Ville
Seul problème : j’avais une chanson et demi et j’avais un mois pour composer d’autres titres. En juin de cette année-là, j’ai donné mon premier showcase et je me suis senti à ma place. C’était la première scène où je me suis senti chez moi entièrement.
Tout l’été qui a suivi, j’ai composé et écrit et en octobre, j’ai commencé à expérimenter mes textes sur les scènes slams de Bruxelles. C’est comme ça qu’en janvier, je me suis retrouvé à avoir un concert de 30 minutes.
À partir de là, tout s’enchaîne. Le 8 mars, il y a 2 ans, je sors mon premier single officiel « Mon sexe, ma bataille ». J’ai commencé à enchainer quelques concerts, la presse commençait un peu à s’intéresser à mon projet. Quand tu te consacres entièrement à un projet comme celui-là, tu as le statut de chômeur, mais tu investis tout ton temps et ton argent dedans, alors quand ça commence à prendre, tu es hyper heureux.
Sauf qu’une semaine après, le 17 mars, le premier confinement est annoncé et tout retombe d’un coup.
J’aurais pu m’arrêter mais j’ai fait tout le contraire. L’année qui a suivi, je n’ai fait que composer, réaliser des clips à l’iPhone, me perfectionner dans la création de ma musique et trouver des solutions financières pour joindre les deux bouts et continuer d’aller en studio.
C’est comme ça qu’il y a 1 an, j’ai lancé ma campagne de crowdfunding pour financer la sortie de l’album « Kevin ». À ce moment-là, je vivais aussi des choses personnelles telles que mon « coming in » et mon « coming out », donc la prise de conscience de ma transidentité et cette authenticité que j’avais besoin de faire sortir, elle ne correspondait pas trop à une stratégie de sortie d’un album.
La campagne de crowdfunding a super bien fonctionné et j’ai pu finir de payer le studio, terminer l’album, le presser et lui donner une belle pochette, mais aussi de faire fabriquer du merchandising et de sortir un clip.
Le chemin jusqu’à « Kevin » n’a pas été simple, il a demandé pas mal de sacrifices mais je suis ravi de l’avoir fait et je suis fier de l’objet qu’il est, de son contenu et de son contenant !
"Je me réjouis d'embrasser la personne que je suis, car ce n'est pas toujours évident de découvrir qui l'on est et d'aimer ce que l'on découvre, sans jugement."
Peux-tu me parler un peu plus du contenu, justement ? Quelles ont été les inspirations derrière cet album ?
Alors, déjà le titre, c’est une petite anecdote. Je la racontais déjà lors de mon premier showcase à Liège, mais elle fait beaucoup plus sens aujourd’hui.
Quand j’avais 7 ans, j’avais la coupe au bol, un sweat bleu avec un cowboy et je voulais qu’on m’appelle Kevin. C’est quand j’ai conscientisé ma transidentité que cette anecdote est devenue une partie de mon histoire et ce titre s’est imposé à moi.
Par rapport au contenu, il y a vraiment eu cette idée de « si je fais mon propre album, je mets tout ce que je veux dedans ». L’inspiration derrière est venue au fil des mois et des années.
Certains titres ont été écrits il y a 3 ans et certains il y a plus de 10 ans ! Par exemple « Mamie est dans une boite », c’est un titre qui date de l’époque de mon groupe Fanfan & The Violent Bitches.
J’avais vraiment envie que cet album présente qui j’avais été jusqu’à lui. La chanson « Eva méga bonne » elle a 8, 9 ans et elle date de l’époque où j’étais MC techno et où on me critiquait parce que je portais des bottes rouges et des mini-jupes. (Rires) C’est un titre sur l’empouvoirement féminin et toujours sur la théorie du « fuck it ».
Globalement, toutes les chansons sont écrites en un jet, quand je suis piqué par quelque chose et que je dois en parler. Du coup, quand l’album est sorti, j’ai eu peur de la diversité des chansons, du fait qu’elles soient écrites à des moments différents de ma vie, et que leurs instrus soient aussi très différentes les unes des autres. Alors pour trouver le liant de cet album, je me suis dit que, comme en live, j’allais faire des intermèdes.
C’est pour ça qu’il y a autant de piste, sept d’entre elles sont des intermèdes. Parfois cette diversité me porte préjudice, notamment dans la sélection des festivals. On me dit souvent qu’on ne sait pas dans quelle case me ranger. À l’image de notre société qui est très binaire et genrée, l’industrie musicale aime ses cases et moi, j’estime rentrer dans plusieurs de ces cases !
De quoi te réjouis-tu en cette années 2022 ?
Je me réjouis d’être payé pour faire mon métier. Je me réjouis de monter sur scène dans plusieurs villes différentes. C’est vraiment ce dont je me réjouis le plus, aller à la rencontre des publics et des gens.
Je me réjouis aussi d’embrasser la personne que je suis, parce que ce n’est pas toujours évident de se découvrir et d’apprendre à aimer ce qu’on découvre.
Quand je vois toutes les rencontres et les opportunités qui se sont ouvertes à moi depuis le début de l’année, je suis surexcité de voir ce qui m’attend jusqu’à fin décembre !
Si tu pouvais dire une chose aux gens qui vont lire ton interview, tu leur dirais quoi ?
Écoutez-vous. Entendez les autres mais n’écoutez que vous car vous seul savez ce qui est bon pour vous et ce qui peut vous faire du bien. Ce que vous gardez comme rêve au fond de vous, il ne tient qu’à vous de le transformer en réalité. Faites-vous confiance car vous êtes les seuls à sentir ce qui est juste pour vous.
Vous êtes la seule personne qui peut faire de vos rêves une réalité.
Interview réalisée par Julia Blaimont
Les créations de Biche de Ville
L'album "Kevin" est disponible au format CD au magasin